Port de Mallaig, 10 juin 2024
Vent du nord, avec des raffales de 30 noeuds
Lors de notre montée de la Bretagne jusqu’au Hébrides extérieures, nous avons bénéficié de conditions idéales : ciel dégagé, vents portants agréables, pas de pluie. C’était trop beau pour durer ! Après le beau temps, la douche écossaise ! Depuis quelques jours, nous avons entamé notre descente à travers les Hébrides intérieures vers l’Irlande, et nous nous déplaçons de port en mouillage pour nous mettre à l’abri de la dépression qui ne veut pas nous lâcher.
Route: Stornoway-Portree - Ornsay -Mallaig
Une météo qui incite à se tourner vers son intériorité. Aussi, passons-nous du temps à lire dans le carré, cuisiner et… dormir pour récupérer de nos longues navigations dans cette région venteuse, froide et pluvieuse. Une expérience intéressante, un peu éprouvante pour l’organisme en ce qui me concerne.
Au moment où j’écris ses lignes, installée dans le cockpit, je suis ballotée par la forte houle qui agite la mer, claque bruyamment contre la coque de Fou de Bassan et fait danser les bateaux voisins. J’ai la chance d’être protégée par une véranda en toile. Une installation contre le vent et la pluie bienvenue que l’ancien propriétaire a conçue pour ses navigations dans le nord. Une option indispensable que la plupart des voiliers naviguant dans les régions froides possèdent également.
Depuis mon balcon, j’observe mes voisins. Occupation favorite des plaisanciers et des plaisancières au port ou au mouillage.
Une tête émerge de la cabine du voilier tribord : c’est celle du capitaine, bonnet de laine enfoncé sur les oreilles, qui fait un tour de l’horizon avant de retourner se calfeutrer.
- Va-t-on continuer à pratiquer ce hobby encore longtemps ? se lamente une dame, les cheveux en bataille, tout en terminant de régler les amarres autour du taquet du ponton sur lequel elle et son mari viennent d’accoster avec leur petit voilier après une traversée éprouvante.
Une autre femme, à la barre, fait un tour de reconnaissance avec son bateau en quête d’une place d’amarrage favorable, pendant que son compagnon, aussières dans les mains, se tient prêt à sauter sur le ponton. Je prends du plaisir à scruter et à analyser les manœuvres de mes pairs, tout en étant pleinement consciente que ces derniers se livreront à une activité similaire. C’est de bonne guerre.
Ces scénettes m’ont fait oublier, pour quelques instants, ma nostalgie du bleu de la mer qui fait du bien à l’âme et qui commence à me manquer.
En Ecosse, la plupart du temps, quand on navigue, la mer est grise. Dans les lochs, teintée par la tourbe, elle est noire.
Pendant longtemps, j’ai rêvé d’Antarctique ou de Groenland avec Fou de Bassan. C’est très bien que je me frotte à la réalité du climat écossais, qui en comparaison de celui des pôles, est très très clément. Je préfère finalement écouter les récits de mes ami.e.s.
Je suis admirative de nos am.i.e.s tourdumondistes qui passent deux saisons entières à naviguer dans les régions australes. Il faut être doté d’un moral d’acier, aimer rester pelotonné au chaud dans la cabine en attendant que les coups de vent passent. Si j’aime le cocon que le confort du carré offre, et que j’aime naviguer seule avec mon capitaine, je me demande toutefois comment nos ami.e.s font pour endurer ce régime rude pendant plusieurs mois d’affilée.
J’aurai bientôt la réponse, puisque l’un deux, Marc, un ami, qui avec sa femme Sylvie, a sillonné les océans avec Chamade, un OVNI 365, bien connu des afficionados, dans les coins les plus hostiles, nous rejoint dans quelques jours, sur la côte nord de l’Irlande.
Je questionnerai Marc pendant que nous redescendrons en Bretagne, dans le Morbihan, où Fou de Bassan passera les mois de juillet et août, avant de peut-être retrouver les flots bleus.
Synchronicité
Pendant que j’écrivais le passage sur Marc et Sylvie, Bernard m’a appelée depuis la cabine :
— Eli, Draco, un voilier suisse va arriver dans quelques minutes au port de Mallaig !
— Draco... Draco, ce nom me semble familier. N'est-ce pas à bord du Draco que Marc et Sylvie ont navigué jusqu'aux Malouines l'hiver dernier après avoir vendu Chamade ? me suis-je demandé.
Un échange de messages WhatsApp avec Marc me confirme que oui.
Quelques minutes plus tard, Draco est au mouillage. Nous prenons contact par VHF, avec Andrew, son jeune capitaine. Épris des régions polaires, il revient des mers australes. Dans un mois, il sera au Spitzberg.
Le passage du Nord-Ouest, l'Alaska, les canaux de Patagonie, notamment, n'ont plus de secrets pour lui.
Occupé à préparer son expédition, il a peu de temps devant lui. Il vient tout de même nous dire bonjour, juste le temps d'échanger une conversation de ponton. "On m'a dit que je naviguais avec 'le couteau entre les dents'", nous dit-il en riant, avant de poursuivre sa route.
Demain nous levons l’ancre. Pas de couteau entre les dents en ce qui nous concerne. Juste une boussole et l'envie de prendre encore notre temps pour explorer quelques derniers lochs sauvages, si la météo nous le permet, avant de retrouver Marc à Ballycastle, sur la côte nord de l’Irlande.
Merci Eli pour tes récits, je voyage avec vous à distance, bien calfeutrée dans mon appartement. Bon, ici c'est moins gris, mais le grand beau temps se fait attendre.
Gros bisous à toi et ton capitaine de Maria et Daniel