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  • Photo du rédacteurElisabeth

Traversée en couleur Açores-Espagne

Une traversée, c’est non seulement une aventure humaine et une histoire avec un bateau. C’est presque une expérience spirituelle.


Lundi 24 juillet 2023

09:30


C’est le grand départ, le retour sur le continent. Une traversée de Terceira jusqu’à la Corogne qui devrait durer huit jours. Un peu tristes, nous quittons les îles des Açores pour lesquelles nous avons éprouvé un coup de cœur.

Une consolation. L’équipage du voilier Vendredi, qui avait amarré son bateau à côté de Fou de Bassan, soit Daniel et Carole ainsi que Vincent et Philippe, leurs fils, est venu larguer nos amarres et nous dire au revoir. Philippe a même immortalisé notre départ avec un drone.


Nous avions tout de suite sympathisé avec cette famille très attachante et joyeuse. Ils m’avaient fait rêver avec leurs récits de navigations sur le fleuve Saint-Laurent et dans la baie des Chaleurs. J’aimerais tant me rendre dans la baie de Saint Pancrace, un des plus beaux mouillages au monde selon eux.

Mais ça, c’est encore une autre histoire. Il faudrait revenir aux Açores, puis traverser jusqu’à Terre Neuve. Sommes-nous prêts à nous lancer dans l’aventure ?


Pour l'instant, nous faisons la route avec d’autres copains bateaux, l’équipage de 2Noé, rencontré à Ponta Delgada. Cela les rassurait de savoir qu’on serait sur le même itinéraire en pleine mer. Ils naviguent sur un quarante-pieds. Nous avons convenu de prendre des nouvelles les uns des autres par communication satellite deux fois par jour.


Pour nous prêter renfort pendant les quarts de nuits, nous avons aussi accueilli à bord Timo, un étudiant allemand qui a passé une année Erasmus à l'université de Sao Miguel, pour étudier notamment la biologie marine. Il souhaitait quitter les Açores en prenant le temps de dire au revoir à cet archipel avec lenteur. Retourner sur le continent en voilier lui semblait un moyen de transport idéal.


Mardi 25 juillet 2023,

11 : 00

- Orques ! Mon sang n’a fait qu’un tour quand j’ai entendu le cri de Timo. Comme un diable à ressort qui sort de sa boîte, j’ai bondi hors de ma couchette où je récupérais d’une longue nuit de veille.

Cette rencontre inopinée enthousiasmait Timo ravi de croiser la route de cette famille de cétacés. Nous pas. Comme toutes celles et ceux celles qui naviguent le long des côtes atlantiques espagnoles et portugaises, qui redoutent un tel rendez-vous.





Les orques adorent jouer avec les safrans des voiliers qui traversent leur territoire. Personne à ce jour n’a trouvé une explication à ce comportement. Des spécialistes en biologie marine essaient de comprendre. Les avis divergent du côté des scientifiques. Les orques se livrent-elles vraiment à des jeux ou n’est-ce pas plutôt des attaques volontaires ?

Les spécialistes en biologie marine nomment cela des interactions. Du côté des navigateurs et navigatrices, chacun et chacune y va de son hypothèse, en proposant des solutions les plus farfelues aux plus sérieuses pour prévenir ces interactions : lancer des pétards dans l’eau, tirer à blanc avec une carabine, peindre son safran en rouge, accrocher un pinger - un répulsif accoustique qui émet des ondes fixé sur un bout lesté qui traîne à l’arrière du bateau. Aucune solution n’a fait ses preuves jusqu’à ce jour pour empêcher que les mammifères cassent un safran, voire plus grave, provoquent une voie d'eau.


Pour toutes ces raisons, notre premier réflexe, lorsque Timo a crié orques, a été de remonter notre dérive et de stopper Fou de Bassan. Puis nous avons pu les observer tranquillement, prendre des photos et sortir notre micro-hydrophone.

Quelle vive émotion de les entendre. Et quelle déception quand un bruit de moteur, celui d’un cargo bruyant - alors que nous n’en n’avions croisé vu aucun depuis deux jours -, a couvert les voix des cétacés.


Mercredi 26 juillet 2023

15 : 10


39°58.711 N

24°45.294 W


Comme je trouvais l’idée romantique, j’ai jeté une bouteille à la mer avec un message.

Où les courants l’emporteront-elles ?

Sera-t-elle brisée contre un navire qui croise sa route ? Se fracassera-t-elle contre des rochers? Peut-être terminera-t-elle sa route intacte et quelqu’un la retrouvera un jour. Dans 1 année ? 10 ans ? 100 ans ? Peut-être fera-t-elle le bonheur d’un chercheur de bouteilles à la mer ? Comme celui de Cliff Buffington, ce musicien et chercheur de bouteilles à la mer australien dont la passion est d’arpenter les plages du monde entier pour dénicher ces trésors?


Jeudi 27 juillet 2023

00 : 50


Je suis de quart, seule sur le pont. La nuit est étoilée. Traversé par la voie lactée, le ciel épouse l’océan. J’effectue ma ronde routinière en balayant le plan d’eau du regard attentivement sur 360 degrés. Je ne distingue pas encore les feux des deux cargos qui nous suivent, que j’ai repérés sur l’écran du bord grâce au signal AIS. Soudain, dans le lointain, à l’avant bâbord de Fou de Bassan, je remarque une lumière blanche qui scintille. Puis une deuxième sur l’avant tribord. Je descends à la table à carte vérifier si mes observations concordent avec les données de l’ordinateur. Rien. Cela doit être des bateaux de pêcheurs qui ont éteint leur AIS, me dis-je. Je ne suis pas tranquille. A quelle distance sont-ils ? J’observe la mer qui ressemble à une étoffe de soie noire froissée par le vent par endroit. Je suis un peu inquiète. Puis j’observe également le ciel et réalise bêtement que ce que j’avais pris pour des bateaux sont en réalité deux étoiles accrochées au bas de la voûte céleste. Il vaut mieux confondre des étoiles avec des bateaux de pêcheurs que l’inverse a ri le capitaine.


15h10


Le ciel est gris, comme le moral de l’équipage. J’ai attrapé une vilaine toux qui m’a empêchée de dormir. Aucune énergie aujourd’hui. Je compte les jours qui restent jusqu’à notre arrivée : encore cinq. Rien d’extraordinaire à bord. Régler les voiles, dormir, lire, préparer à manger, s’assoir sur le pont et se laisser hypnotiser par le ballet des vagues en laissant l’océan imprimer sa chorégraphie dans notre corps.

Je me demande ce que ressentent celles et ceux qui traversent le Pacifique sachant que celle-ci peut durer plus de trente jours. Comme me l’a dit une amie : on se retrouve face à son intériorité.

En ce qui me concerne, en ce jour, je n’ai pas suffisamment lâché prise pour explorer mon intériorité. Difficile dans l’état semi-comateux dans lequel je me trouve et ma gorge irritée.

Je sais que ces instants inconfortables seront vite oubliés une fois arrivés à notre destination.

Pourquoi avoir choisi de vivre cette expérience ?


Que sommes-venus chercher ici sur l’eau ?

C’est peut-être justement la chance de pouvoir vivre des moments intenses et variés, composés de toute la palette des ressentis et des émotions. L’excitation qui monte avant le départ, parfois un peu d’appréhension. La joie de larguer les amarres, suivi de la routine qui s’installe en même temps que les côtes disparaissent de l’horizon. La dynamique qui se crée au sein de l’équipage. Toujours différente, puisqu’elle dépend de la personnalité de chaque membre et de l’environnement dans lequel cet équipage évolue. Le fait de prendre soin les uns des autres et, ensemble, de prendre aussi soin du bateau.


Parfois, il faut aussi savoir affronter ce sentiment d’ennui, quand le ciel est plombé, la mer morose et le vent absent. Prendre sur soi pour ne pas entraîner les autres membres de l’équipage dans son spleen, on s’abandonne, on trouve des ressources insoupçonnables en soi.

Et puis, ce bonheur incomparable quand la joie remplace l’ennui, parce que les éléments sont favorables, ou que nous venons de vivre un moment fort ensemble.


J’aime aussi sentir l’adrénaline monter en moi, quand il faut faire une manœuvre dans de grosses conditions. Surtout, garder son sang-froid. Cela procure un sentiment d’accomplissement, qui donne confiance en ses propres ressources.


Ce que je viens chercher aussi, ce sont ces moments extraordinaires dans lesquels je ressens un sentiment de plénitude que je ne retrouve nulle autre part sur terre. Quand on est en harmonie avec les éléments, qu’on comprend le langage du bateau, quand on vibre avec son bateau, qu’on ressent chacun de ses mouvements dans son corps.

On sait que le les voiles sont bien réglées et que le bateau est content lorsque, couché dans le carré, on entend l’eau qui fait chuiiii contre la coque.


Lorsque, pendant la solitude d’un quart de nuit, la tête plongée dans les étoiles, on éprouve un sentiment de transcendance et qu’on a l’impression de ne faire plus qu’un avec l’univers.


Une traversée, c’est non seulement une aventure humaine et une histoire avec un bateau. C’est presque une expérience spirituelle.

Samedi 29 juillet


Journée au moteur, mer splendide. Les vagues sont longues et peu formées. On a l’impression de voguer sur un voile de soie. Cela fait du bien, on peut se détendre, prendre une douche sur la jupe arrière de Fou de Bassan.


Au moment où on décide d’arrêter Fou de Bassan pour se baigner en pleine mer, Timo s’exclame : « dauphins ». Le fameux mot magique qui crée toujours l’effervescence à bord. Déception. Ils s’éloignent déjà. On les voit sauter entre les vagues, occupés à chasser. Nous ne les intéressons pas.


C’est la première fois que nous nous baignons en plein océan, par 5200 mètres de profondeur. A titre de comparaison, le sommet du Mont-Blanc se situe il y a 4800 mètres d’altitude et le camp de base de l’Everest à environ 5 500 mètres d’altitude. Vertigineux quand on y pense.

Timo, ne semble pas être impressionné. Le premier, il saute à l’eau, équipé d’un masque et un tuba. Nous l’imitons à tour de rôle. Car évidemment, l’un de nous reste sur le bateau par sécurité.


Dans l’eau, nous sommes émerveillés par le bleu de cet océan, qui nous enveloppe de sa chaleur. La température de l’eau est de 23 degrés, plus élevée de 2 degrés que celle de l’air.


42°56'176 N

13° 55’ 459 W


La mer est bleu azur.

Sous l’eau,

On est happé

Par tant de beauté.

Fi des bleus à l’âme.

Notre esprit se dilate,

Se liquéfie

En épousant le lapis.


Pendant que Bernard et Timo se sèchent, je file à l’avant du bateau avec le micro-hydrophone pour essayer de capter les cris des dauphins. Je ne les vois plus, mais comme sous l’eau les ondes ont une longue portée, j’ai peut-être une chance de les repérer.

Je me prépare pour cette séance de gymnastique acrobatique.


C’est en effet toujours un exercice délicat de plonger le micro sous l’eau, de faire en sorte que le câble de quinze mètres ne s’emmêle pas quand il se déroule, de sécuriser l’enregistreur quelque part pour éviter de le perdre, tout en essayant de maintenir mon équilibre à cause de la gîte du bateau.


Mes efforts sont récompensés.

Magie. Je les entends. Je reconnais les sons aigus si typiques que les dauphins émettent, malgré les bruits parasites du clapotis de l’eau sur la coque de Fou de Bassan.

Puis, les abysses se taisent. Je n’entends plus mes amis.

Avec l’aide de Timo, je range mon matériel.

Et nous reprenons notre route.


Dimanche 30 juillet


Quart de 03 :00 à 06 :00


Etoile rouge


La nuit,

Le ciel étoilé,

Ouvre une fenêtre sur l’univers,

Qui transcende les marins.


A l’aube naissante,

Les camaïeux de roses,

Apportent des promesses

Aux aventurières.


Jaune, orange, rouge,

Les teintes du soleil qui se lève

Réchauffent les cœurs

Et les âmes,

Des bourlingueuses.


Lundi 31 juillet

14 : 00 UTC +2


Nous venons de passer devant le phare d’Hercule, ça y est, nous sommes à la Corogne.

Timo ne cache pas son soulagement d’avoir retrouvé la terre ferme.

Bernard et moi sommes contents d’être arrivés à bon port après cette magnifique traversée pour laquelle nous avions bénéficié d’excellentes conditions.


970 milles parcourus

Vitesse moyenne de 5,7 noeuds

7 jours, dont 5 à la voile et 2 au moteur


Nos amis du bateau 2Noé sont encore loin derrière nous. Ils arriveront demain au petit matin.


Nous sommes déjà nostalgiques d’avoir déjà quitté les Açores et l’univers de la haute mer.

Peut-être qu’on devient de vrais marins.






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